MEMORIES IN COLD DECAY ϟ Goliaht et Cass.

Un mot. Six lettres. Un infini de grâce et d'envoûtement, c'est ce que ressentait Castor devant cette nature qui l'entourait. En vastes tourbillons valsaient les feuilles mortes, ternies par l'automne, apportant un brin de mélancolie à cette parfaite toile. Dans le ciel, les nuages gorgés de pluie formaient comme une voûte, un vent frais balayait le sol aride, emportant avec lui le parfum suave de la terre mouillée. C'était comme un sentiment d'impuissance que quiconque aurait ressentit ici-même, devant tant de vivant, tant de beauté si éphémère. De-ci, de-là, une maigre fleur teintait cette nature morte digne d'un tableau, apportant une touche de couleurs vives, tremblante, aussi fragile et précieuse qu'une relique gelée. C'était une réelle relique, témoignage d'un été qui, jadis, avait ensoleillé ces terres et empli ces fleurs d'une force sauvage. La nature est cruelle, farouche, elle donne la vie comme elle la reprend, tout en respectant l'ordre des choses avec une infime précision, avec une délicatesse pure. Sa magie est telle qu'elle est la seule à assassiner avec une réelle beauté. Comme il est tout aussi désolant de témoigner de sa fugacité. Les perles les plus précieuses sont aussi les plus éphémères. Magique. C'est le mot, tant de simplicité regorgeant d'envoûtement, d'enchantement. Castor appréciait cette instant de la journée où elle pouvait se libérer de toute pression, fermer les yeux, s'affranchir de ses pensées. Elle pouvait entendre son amie, Lila Horsentree, débattre des derniers ragots à ses côtés, mais sa voix semblait si lointaine. Elle n'y prêtait aucun intérêt ou attention, se contentant de ponctuer son monologue de quelques hochements de tête, qui semblaient satisfaire son amie. Elle adorait Lila. Depuis son plus jeune âge, elle n'avait cessé d'éprouver pour elle cette tendresse mêlée d'admiration, qu'une petite fille conçoit pour n'importe quelle autorité supérieure, parentale comme amicale. Pourtant, depuis quelques mois déjà, elle avait cette nette impression qu'un ravin se creusait en profondeur entre elle et son amie. Elle se sentait si étrangère à ses côtés, parfois insensible aux facéties que seule Lila et sa troupe de Serpentard semblaient être en mesure de comprendre. Bien sûr, elle ne pouvait se confier à la jeune fille en question. Elle aurait sans aucun doute éclaté de rire, de ce rire cristallin qui faisait l'admiration des autres filles. Ou l'aurait-elle seulement écouté. Après tout, elle n'avait sûrement que faire de ses soucis.
C'était une de ces fraîches matinées, typiques de la fin d'une belle saison. L'hiver ne tarderait pas à être aux portes de Poudlard, apportant avec lui sa nuit sombre, son froid polaire et les déboires de la neige. Castor et Lila étaient assises au bord des marches qui conduisaient à l'entrée du château. Celles-ci ne conduisaient plus vraiment nulle part car une petite troupe de filles et de garçons s'étaient rassemblés, bloquant tout évident passage. Chacune de ces personnes semblaient boire les paroles de Lila, suspendues à ses lèvres, la bouche entrouverte et le regard avide. Castor se moquait bien de ces disciples dont Lila pouvait s'entourer. Elle savait pertinemment que ce n'était guère plus qu'une cour à ses yeux. Mais encore aurait-il fallut que Lila daigne les respecter pour plus que le bas-peuple. « Excuse moi Maëva, Melissa, peut importe ton nom, tu peux porter mes livres à la bibliothèque ? » demanda cette dernière à la jeune fille assise devant elle. Celle-ci hocha la tête, tendant les bras pour recevoir les livres comme on tendrait les bras pour recevoir un sac plein d'or. « Je croyais que tu allais toi-même à la bibliothèque ? » s'étonna Castor, sans détourner le regard des grands arbres nus du parc. « Ce n'est pas parce que j'y vais que je dois porter ces livres. » Castor ressentit soudain l'irrésistible envie de prendre ses jambes à son cou et de ficher le camp sans demander son reste. « On se rejoint là bas alors, il faut que je fasse un truc avant », s'excusa t-elle avec empressement. Gravissant quatre à quatre les quelques marches qui la séparait de la grande porte d'entrée, elle n'accorda aucun regard derrière elle, serrant fort dans ses bras ses propres livres. Elle ne put s'empêcher de pousser un long soupir de soulagement en tournant au coin d'un couloir. À cette heure-ci, la circulation intra-muros de Poudlard était des plus pénibles. C'était une période de transition, ceux ayant cours se dépêchant de gagner la salle de classe de leur prochaine matière, profitant pour échanger au passage quelques mots avec d'autres élèves. Quelques rares professeurs tentaient tant bien que mal de faire régner la discipline dans ces couloirs et s'époumonaient sans résultat, accompagnant leur voix par de grands gestes désespérés, ce qui leur donnait un air tout à fait ridicule. Castor se fraya un passage au milieu des longues capes noires, jouant des coudes en silence. Elle se précipita dans les toilettes les plus proches. Les toilettes des filles, à Poudlard, avaient cette réputation bien méritée de propreté, à côté de laquelle celle des garçons semblait dérisoire. Une douce odeur florale secouait les narines de quiconque y pénétrait et une fraîcheur humide débarrassait les visiteurs de la poussière du dehors. Castor fut surprise de les trouver vides, pourtant connues pour être le refuge de nombreux petits clans de la gente féminine du château. Deux robinets étaient détériorés depuis la nuit des temps et personne n'avait jamais eu l'idée de donner un petit coup de baguette magique pour réparer les vieux dégâts. L'eau s'y écoulait en crachotant et sifflant, dégoulinant avec lenteur sur le carrelage brillant où se reflétait les magnifiques vitraux des fenêtres. Ces vitraux était une des fiertés du château. Leur âge ne se comptait plus, et pourtant ils brillaient et resplendissaient toujours de ce même éclat, projetant sur les murs blancs des ombres de couleur. Castor se pencha au dessus d'un robinet dont l'était douteux provoquait un gargouillement disgracieux. S'appuyant solidement de ses deux mains sur les rebords du lavabo, elle jeta un regard timide à son reflet. Elle était pâle, comme à son habitude. Son teint de cire, parsemé de délicates tâches de rousseur, lui donnait souvent un air maladif dont se plaignait Lila. Quelques mèches rebelles s'échappaient avec désordre de son chignon, hâtivement noué sur le dessus de sa tête. Elle baissa le regard au sol, fermant les yeux. « Enfin un peu de calme », murmura t-elle dans un souffle. « Je ne te le fais pas dire », répondit alors une voix narquoise derrière elle. La jeune fille retint à grand peine un cris de stupeur. Se retournant, elle tomba face à face avec Goliath, un sourire goguenard sur les lèvres. Ses épaules s'affaissèrent, alors qu'elle poussait un soupir de soulagement. « Crétin, tu m'as fait peur. » Ce fut tout ce qu'elle trouva à dire, encore éprouvée par le rythme affolé de son coeur battant la chamade dans sa poitrine.